GAIN DE CAUSE : Annulation d’un jugement du TA de Grenoble par la CAA de Lyon qui reconnaît l’intérêt à agir d’une association de protection de l’environnement contre le télésiège du Marais à Tignes

Droit de l'environnement
Publié le : 10 juillet 2025

Le cabinet a représenté une association de protection de l’environnement grenobloise devant la CAA de Lyon contre le jugement du TA de Grenoble ayant rejeté sa demande d’annulation d’une dérogation espèces protégées au motif de l’absence d’intérêt à agir de l’association.

Par une décision n°23LY01135 du 25 juin 2025, la cour administrative d’appel (CAA) de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif (TA) de Grenoble. Elle reconnaît ainsi l’intérêt à agir de l’association de protection de l’environnement non agréée qui, bien qu’ayant un champ d’action national (à défaut d’avoir précisé son champ d’intervention géographique dans ses statuts), est fondée à contester une décision administrative locale, en l’espèce un arrêté du Préfet de la Savoie portant dérogation espèces protégées s’agissant du projet de télésiège du Marais de la station de Tignes.

Par cet arrêté du 11 septembre 2020, le préfet de la Savoie avait ainsi autorisé une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées, parmi lesquelles le papillon Parnassius Apollo.

L’association avait obtenu devant le tribunal administratif de Grenoble la suspension de l’arrêté préfectoral mais avait vu son recours en excès de pouvoir rejeté pour défaut d’intérêt à agir, le tribunal administratif de Grenoble ayant alors retenu le champ d’action national de l’association (malgré la présence d’indices comme la signature des statuts à Grenoble, le siège de l’association à Grenoble, de nombreux évènements organisés à Grenoble, etc.), l’empêchant dès lors de contester une décision administrative présentant un champ d’application territorial

Il existe en effet une exception tendant à reconnaître l’intérêt à agir d’associations non agréées ayant un champ d’action national à l’encontre d’une décision administrative locale, notamment lorsque ladite décision « soulève des questions qui excèdent les seules circonstances locales ».

Cette exception avait été initialement consacrée par le Conseil d’État dans une décision de 2015 concernant le domaine des libertés publiques (voir en ce sens : Conseil d’État, 4 novembre 2015, Association Ligue des droits de l’homme, n°375178, publié au recueil Lebon). Cet arrêt de principe avait ensuite fait l’objet de déclinaisons toujours en matière de libertés publiques avec des reconnaissances implicites de l’intérêt à agir des associations en l’espèce (voir en ce sens : Conseil d’État, 26 août 2016, n°402742 ; Conseil d’État, 26 septembre 2016, n°403578 ; Conseil d’État, 7 février 2017, n°392758).

Plus récemment, cette exception relative aux décisions locales qui soulèvent des « questions qui excèdent les seules circonstances locales » consacrée en matière de libertés publiques, a été étendue à des contentieux environnementaux

Ainsi, la cour administrative d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 31 janvier 2023, n°21BX04291, après avoir constaté le champ d’intervention national de l’association Sea Shepherd France, a reconnu son intérêt à agir à l’encontre d’une décision prise par le préfet de La Réunion et qui avait pour objet d’autoriser des opérations de pêches spécifiques de requins, espèces protégées. 

La décision alors attaquée, portant notamment atteinte à une réserve naturelle nationale, a été considérée comme soulevant des questions excédant les seules circonstances locales, permettant alors de reconnaître l’intérêt à agir de l’association. La décision n’est pas isolée (voir en ce sens : cour administrative de Bordeaux, n°23BX00340, 7 novembre 2023).

En l’espèce, dans notre arrêt du 25 juin 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a constaté que l’arrêté du préfet de Savoie portant dérogation espèces protégées concerne deux espèces de papillons, l’Apollon des montagnes (Parnassius Apollo) et le Solitaire, ainsi que des espèces végétales ;

La cour a également constaté que si les statuts de l’association requérante ne définissent aucune limite territoriale à la portée de son action, elle justifie d’un intérêt à agir suffisamment direct et certain pour contester l’arrêté en litige au regard de la sauvegarde des intérêts liés à la protection de l’environnement et de la biodiversité qu’elle entend protéger, en raison de la présence : 

  • de falaises d’intérêt communautaire ;
  • d’espaces perméables relais surfaciques de la trame verte et bleue ;
  • d’une zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) de types I et II ;
  • de deux zones humides ;
  • de deux zones Natura 2000 proches du projet ;
  • de la réserve naturelle nationale de Tignes-Champagny couvrant les deux tiers du site du projet.

La cour complète enfin en précisant : « en particulier, les travaux autorisés sont susceptibles d’entraîner la destruction de l’espèce de papillon Parnassius Apollo dite « espèce parapluie » (…) qui héberge un habitat favorable à sa reproduction, et par voie de conséquence d’autres espèces faisant partie d’un écosystème global non strictement circonscrit à la zone géographique des travaux. »

Une espèce parapluie est une espèce dont le domaine vital est assez étendu pour que sa protection assure celle des autres espèces végétales et animales peuplant le même territoire. » Autrement dit, en protégeant une espèce parapluie, c’est tout son environnement qui est protégé. Par exemple, la girafe, le tigre, le panda, l’hirondelle, la loutre, sont des espèces parapluies.

L’intérêt à agir de l’association est donc confirmé grâce à la présence du papillon Parnassius Apollo, dit Apollon. 

L’intérêt à agir de l’association étant confirmé, la cour administrative d’appel a donc annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble qui avait rejeté le recours en première instance, comme étant irrégulier.

Il s’agit ici d’une décision intéressante qui vient ajouter une pierre à l’édifice jurisprudentiel relatif à l’intérêt à agir des associations de protection de l’environnement notamment lorsqu’elles ne sont pas titulaires de l’agrément et qu’elles ont un champ d’action national. 

Toutefois, en l’espèce, sur le fond, la cour administrative d’appel a choisi de ne pas évoquer, c’est-à-dire qu’elle a décidé de ne pas juger l’affaire sur le fond et de la renvoyer devant le tribunal administratif de Grenoble afin qu’il puisse, enfin, se positionner sur la légalité de l’arrêté préfectoral, ce plusieurs années après l’introduction du recours par l’association en 2020.

Partant, l’argumentation de l’association tend à contester la légalité de l’arrêté du préfet de la Savoie portant dérogation espèces protégées, car selon elle le remplacement du télésiège du Marais à Tignes n’est pas justifié par l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur. En outre, l’association reproche l’insuffisance des mesures éviter-réduire-compenser du projet.

En réalité, le remplacement de télésiège du Marais a été réalisé en parallèle de l’instance permettant aux usagers de l’emprunter depuis janvier 2025 (nouvelle gare et nouveaux pylônes), les porteurs du projet n’ayant pas attendu l’issue du recours de l’association pourtant toujours en cours d’instruction devant les juridictions administratives, et alors que, pour rappel, l’exécution du projet avait été suspendu en première instance (voir supra).

Le rapport de la Cour des Comptes de février 2024 « Les stations de montagne face au changement climatique » pointait quant à lui des déséquilibres en matière de restructuration des domaines skiables en altitude : 

« Restructurer les domaines en altitude permet certes de concentrer la fréquentation sur les secteurs les mieux enneigés. Mais les projets des stations contrôlées par les juridictions financières dans le cadre de l’enquête sont fréquemment décorrélés des prévisions climatiques, alors qu’ils mobilisent de lourds investissements. »

Il appartient désormais au tribunal administratif de Grenoble de se positionner sur le recours de l’association. 

Vous pouvez retrouver la décision en ligne ici.

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