Il était une fois, le droit des générations futures à un environnement équilibré et respectueux de la santé, constitutionnellement consacré…
Le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité du stockage des déchets radioactifs, soulignant les mesures de protection de l'environnement, malgré les préoccupations sur l'impact à long terme.
Dans une décision n°2023-1066 QPC du 27 octobre 2023, le Conseil Constitutionnel s’est positionné sur la constitutionnalité de l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement organisant le régime de stockage profond des déchets radioactifs, au regard du droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Pour bien comprendre le cadre juridique dans lequel cette décision vient s’inscrire, il faut d’abord s’intéresser à sa genèse. Alors même qu’il n’était pas encore alerté par les crises écologiques actuelles, le Général de Gaulle, père de la Constitution de 1958, reprenait dans son carnet de notes personnelles les mots de l’écrivain Chateaubriand : « Les forêts précèdent les civilisations. Les déserts les suivent. » Le début d’un récit au temps long. C’est en effet bien plus tard que la protection de l’environnement a officiellement trouvé une identité constitutionnelle, grâce à l’adoption de la Charte de l’environnement, adossée en 2005 au Préambule de la Constitution. Cette Charte comporte des alinéas à portée davantage philosophique que juridique, outils conceptuels permettant aux Sages d’interpréter les articles de la Charte qui, eux, ont pleine valeur normative, à l’instar de son premier article : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. »
À l’origine de la décision du 27 octobre 2023, une association environnementale et d’autres requérants ont introduit un recours en annulation devant le Conseil d’État à l’encontre du décret n°2022-993 du 7 juillet 2022 déclarant d’utilité publique le stockage en couche géologique profonde des déchets nucléaires français de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Les requérants ont demandé au Conseil constitutionnel, par la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, de se positionner sur la conformité des dispositions du code de l’environnement aux droits et libertés garantis par la Constitution, donc par la Charte de l’environnement.
Les Sages de la rue de Montpensier ont donc été amenés à apprécier si les choix du législateur, lorsque ce dernier adopte des mesures destinées à répondre aux besoins du présent mais susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard.
Mais alors que les Sages n’ont cessé, au fil de la décision, de flirter avec l’éternité, ils décident finalement qu’en adoptant l’article L. 524-10-1 du Code de l’environnement, le législateur « a souhaité poursuivre les objectifs de valeur constitutionnelle [« OVC »] de protection de l’environnement et de protection de la santé ».
Pour justifier cela, le Conseil constitutionnel a ensuite énuméré les diverses mesures encadrant le stockage géologique, allant jusqu’à les qualifier de « garanties propres à assurer le respect de ces exigences », ciblant, parmi elles, la réversibilité du stockage ; c’est-à-dire la possibilité de récupérer les déchets plus tard et donc la capacité pour les générations futures de faire des choix différents en la matière.
Les OVC sont des orientations dégagées par le Conseil constitutionnel à destination du législateur, devant être appréhendés comme une grille de lecture, une aide à l’interprétation lors de la fabrique des lois. Ils font donc également partie des outils à disposition du Conseil constitutionnel lorsque ce dernier exerce son contrôle de conformité de la loi à la Constitution.
L’OVC de protection de l’environnement a, quant à lui, été déduit des alinéas du Préambule de la Charte : la boucle serait alors bouclée ? Pas si vite… Ici, l’OVC de protection de l’environnement permet plutôt aux Sages de justifier les choix retenus par le législateur sur une question (politiquement) radioactive : la gestion des déchets nucléaires à durée de vie longue.
Le voyage temporel promis s’apparente en fin de compte à un retour vers le futur : l’impact symbolique de la consécration constitutionnelle du droit des générations futures à un environnement équilibré et respectueux de la santé est limité dans le cas présent du stockage profond des déchets radioactifs.
En définitive, il est même réduit à une sorte de kaléidoscope juridique à l’avenir incertain, dont la portée concrète risque d’être circonscrite à une interprétation variable de l’intérêt général, au point de s’interroger : la relation entre protection de l’environnement et droit constitutionnel relève-t-elle du duo ou du duel ?
Mégane BASSET
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