La décision QPC n° 2019-823 du 31 janvier 2020 sur l’objectif de protection de l’environnement : un effet d’annonce plutôt qu’une remarquable innovation

Droit de l'environnement
Publié le : 29 janvier 2024

Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d’État dans le cadre de la procédure QPC de l’article 61-1 de la Constitution. Le requérant était l’Union des industries de la protection des plantes, au nom évocateur dans le contexte polémique actuel autour du glyphosate

Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d’État dans le cadre de la procédure QPC de l’article 61-1 de la Constitution. Le requérant était l’Union des industries de la protection des plantes, au nom évocateur dans le contexte polémique actuel autour du glyphosate. L’argumentation du requérant s’articulait autour de l’atteinte à la liberté d’entreprendre, garantie à l’article 4 de la sacro-sainte DDHC de 1789. L’Union des industries de la protection des plantes visait ainsi le §4 de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, en ce qu’il prévoit l’interdiction « à compter du 1er janvier 2022, de la production, du stockage et de la circulation des produits phytopharmaceutiques pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l’environnement ».

Le Conseil constitutionnel a décidé de la conformité de cet article avec la liberté d’entreprendre constitutionnellement garantie. Pour ce faire, il a utilisé sa méthode classique de déduction des objectifs à valeur constitutionnelle (ci-après « OVC ») à partir d’un principe ou d’une norme constitutionnelle déjà consacrée. Si la reconnaissance de l’OVC de protection de la santé a fait l’objet de critiques en l’espèce, ici l’analyse sera centrée uniquement sur la reconnaissance de l’OVC de protection de l’environnement.

Les OVC sont des orientations dégagées par le Conseil constitutionnel à destination du législateur. Ils sont apparus pour la première fois en 1989 avec l’OVC de sauvegarde de l’ordre public (DC n°82-141, 27 juillet 1989). Il en existe aujourd’hui une douzaine parmi lesquels le droit au logement décent, le principe de bonne administration de la justice ou encore la parité entre hommes et femmes… Les OVC doivent être appréhendés comme une grille de lecture, une aide à l’interprétation, uniquement destinée au pouvoir législatif dans sa mission de création des lois. Il s’agit d’une qualification habilitant le législateur (QPC n°2014-422, 17 octobre 2014). La conciliation alors opérée par le législateur ne doit pas dénaturer le corpus constitutionnel (DC n° 98-403, 29 juillet 1998). Le législateur est tenu à une obligation de moyen et non de résultat, comme le sous-entend d’ailleurs le Conseil constitutionnel dans le communiqué de presse de la présente décision. En aucun cas les OVC ne doivent être considérés comme énonçant de nouveaux droits. Ils sont simplement destinés à mettre en œuvre des principes afin d’en limiter certains autres. Les OVC ne sont donc pas invocables en « eux-mêmes » à l’appui d’une QPC (QPC n°2010-4/17, 22 juillet 2010).

En l’espèce, l’OVC de protection de l’environnement, « patrimoine commun des êtres humains », a été déduit par le Conseil constitutionnel, non pas de la Charte de l’environnement elle-même, qui a pleine valeur constitutionnelle (DC n° 2008-564, 19 juin 2008), mais du Préambule de la Charte. Ce Préambule est quant à lui dénué de valeur constitutionnelle concrète, et donc d’invocabilité à l’appui d’une QPC (QPC n°2014-394, 7 mai 2014). Par conséquent, le fait de consacrer certains alinéas du Préambule de la Charte sous la forme d’un OVC non invocable en lui-même dans une QPC, ne garantit pas à ce Préambule une pleine et entière valeur juridique.

Néanmoins dans cette décision, l’OVC de protection de l’environnement permet de justifier l’interdiction des produits phytopharmaceutiques. En effet, le législateur a opéré une conciliation entre l’OVC et la liberté d’entreprendre, notamment de manière pragmatique en prévoyant un délai de trois ans pour que l’interdiction soit effective. Cependant la décision ne fait qu’acter la conformité d’une interdiction en droit interne par ailleurs prévue depuis longtemps à l’échelle européenne ; interdiction qui ne concerne même pas les pays exportateurs hors du champ de la règlementation de l’Union européenne…

Si l’OVC ici consacré permet la reconnaissance substantielle de l’importance accordée à la protection de l’environnement, cette reconnaissance perd en puissance face à la faible normativité des OVC. Si le Conseil avait voulu donner pleine valeur au Préambule, il l’aurait fait de manière plus effective. Dans cette QPC il ne s’agit pas de consacrer des normes générales aux implications tout aussi généralisées. On a plutôt l’impression qu’il s’agit de donner à telle ou telle décision une portée plus importante que les autres, sans en faire pour autant une règle de principe. Cette décision relève donc davantage de l’effet d’annonce plutôt que de la remarquable innovation.

Une question reste alors en suspens, c’est celle de savoir pourquoi le Conseil constitutionnel consacre un OVC alors même qu’il est, en tant que tel, difficilement invocable en pratique. Cela démontre bien, en réalité, que les OVC sont établis exclusivement à destination du législateur, avec pour réserve le risque d’inconstitutionnalité devant être constaté par le Conseil constitutionnel lui-même lorsqu’il est destinataire des QPC transmises par les juridictions.

Article publié en 2020 dans la Gazette des élèves-avocats de l’EDARA

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