REVUE ALYODA : Autorisation environnementale unique : obligation d’examiner les demandes de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées
Par un jugement du 9 décembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté le recours en annulation formé par le Comité de vigilance de la plaine de l’Ain (CPVA) et plusieurs requérants particuliers à l’encontre de l’arrêté du 6 novembre 2019 du préfet de
Article publié en 2022 dans la revue ALYODA : voir ici
Par un jugement du 9 décembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté le recours en annulation formé par le Comité de vigilance de la plaine de l’Ain (CPVA) et plusieurs requérants particuliers à l’encontre de l’arrêté du 6 novembre 2019 du préfet de l’Ain portant autorisation environnementale unique pour le renouvellement et l’extension de l’exploitation de la carrière de sables et graviers alluvionnaires située au Lieu-dit La Plaine à Sainte Julie ainsi que pour l’exploitation d’une installation de traitement et d’une station de transit des matériaux.
La présente note vise à analyser principalement le positionnement du juge administratif concernant la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation des spécimens et habitats d’espèces animales protégées, contenue dans l’autorisation environnementale unique objet du recours en annulation rejeté par le tribunal administratif de Lyon.
C’est à la suite d’une enquête publique qui s’est déroulée du 11 mai au 15 juin 2019 que le préfet de l’Ain a délivré à la SA Carrières Saint Laurent une autorisation environnementale, valant autorisation au titre des installations classées pour la protection de l’environnement, dérogation aux interdictions édictées pour la conservation des spécimens et habitats d’espèces animales protégées et déclaration au titre de la police de l’eau pour, d’une part, la poursuite de l’exploitation de la carrière de sables et graviers alluvionnaires située au lieu-dit La Plaine à Sainte Julie et l’extension de cette exploitation par approfondissement de l’extraction dans le périmètre existant et, d’autre part, l’exploitation d’une installation de traitement des matériaux et d’une station de transit des produits minéraux.
S’agissant donc particulièrement de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation des spécimens et habitats d’espèces animales protégées, les requérants ont soulevé la méconnaissance, par l’autorisation environnementale, des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement, en l’absence de dérogation à la protection des habitats de l’hirondelle de rivage et la méconnaissance des articles R. 123-8 et R. 181-37 du code de l’environnement du fait que l’avis du Conseil national de la protection de la nature n’a pas été joint au dossier d’enquête publique .
Le tribunal administratif de Lyon a eu l’occasion d’apporter des précisions inédites sur la qualification d’« habitats d’espèces », au sens des dispositions du code de l’environnement, pouvant ainsi être appliquée aux habitats créés par l’activité humaine (I). Toutefois, l’application de cette qualification ne permet pas de considérer l’autorisation environnementale comme étant illégale puisqu’en l’espèce selon le juge, il n’était pas nécessaire d’obtenir une dérogation eu égard à l’insuffisance des inventaires à démontrer la présence effective de l’hirondelle de rivage dans l’habitat concerné, soit la carrière dont la poursuite et l’extension de l’exploitation sont autorisées (II). Cependant, le juge ne ferme pas complètement le débat puisqu’il rappelle l’éventuelle mise en œuvre par le préfet des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article L. 171-7 du Code de l’environnement, en cas de présence avérée de l’hirondelle de rivage ultérieurement constatée (III).
I. Des précisions inédites sur la qualification d’« habitats d’espèces » pouvant être appliquée à des sites créés ou modifiés par l’activité humaine.
Les juges du tribunal administratif de Lyon ont ainsi été amenés à se positionner sur la qualification d’« habitats d’espèces » car la société Carrières de Saint-Laurent a soulevé le moyen selon lequel les fronts de taille sableux résultant de la désagrégation mécanique, ou à l’explosif, du terrain de l’exploitation, seraient par nature exclus du champ d’application des dispositions du code de l’environnement (articles L. 411-1, L. 411-2 et R. 411-1 et s. du code de l’environnement).
Les juges administratifs ont donc interprété, de manière assez inédite, les articles du code de l’environnement en affirmant qu’il ne résulte pas desdites dispositions que (§. 3.) : « le régime de protection qu’elles instituent, qui s’applique aux milieux naturels, ne comprendraient pas également les habitats créés artificiellement. »
Les juges ont précisé ainsi dans un effort de pédagogie appréciable que (§. 3.) : « le fait qu’un site a été créé ou modifié par l’activité humaine ne fait donc pas obstacle à ce que cet espace, dès lors qu’il est occupé par une espèce animale protégée, soit regardé comme un habitat d’espèces au sens et pour l’application de ces dispositions. »
Toutefois, il ressort de la lecture du code de l’environnement que les juges en ont simplement fait une interprétation littérale, sans prendre beaucoup de risques. En effet, l’article L. 411-1 du code de l’environnement prévoit explicitement :
« I. Lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : 1. La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; 2. La destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; 3. La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces ; 4. La destruction, l’altération ou la dégradation des sites d’intérêt géologique, notamment les cavités souterraines naturelles ou artificielles, ainsi que le prélèvement, la destruction ou la dégradation de fossiles, minéraux et concrétions présents sur ces sites ; »
La circonstance qu’un site puisse accueillir des espèces protégées bien qu’il soit issu d’une création ou d’une modification liée à l’activité humaine avait donc été prévue par le législateur qui n’a pas hésité à le préciser dans le code de l’environnement.
En outre, des sites accueillant des espèces protégées ont été répertoriés de manière réglementaire, notamment par l’arrêté du 29 octobre 2009 qui fixe la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection. Toutefois dans cet arrêté, il s’agit d’un recensement propre à un certain type d’espèces protégées, les oiseaux, et intimement lié à cette espèce.
Aussi, dans le cas particulier des mesures de protection des biotopes (« habitat nécessaire à la l’alimentation, le repos, ou la survie de spécimens d’une espèce figurant sur l’une des listes prévues à l’article R. 411-1 » aux termes de l’art. R. 411-15 c. env.), le décret n° 2018-1180 du 19 décembre 2018 a étendu le champ d’application de l’article R. 411-15 du code de l’environnement afin de permettre l’édiction d’arrêtés de protection de biotopes sur des bâtiments, ouvrages, mines et carrières en fin d’exploitation ou sur tous autres sites bâtis ou artificiels, à l’exception des habitations et des bâtiments à usage professionnels.
Cette extension avait été reconnue comme étant nécessaire dans la mesure où des espèces protégées comme les chauves-souris trouvent refuge dans des combles d’église, des carrières, ou encore des mines.
Cependant, il faut noter que la liste des habitats naturels de l’annexe I de la Directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages dite directive « Habitats » ne comporte aucune mention des habitats créés ou modifiés par l’activité humaine pouvant pourtant accueillir des espèces protégées au sens de la Directive.
Ici, l’apport du jugement du 9 décembre 2021 réside donc principalement dans le fait qu’il permet de donner un caractère plus général à l’applicabilité de la qualification d’« habitats d’espèces » aux sites créés ou modifiés par l’activité humaine. Cette envolée permise par l’applicabilité de la qualification d’« habitats d’espèces » aux sites créés ou modifiés par l’activité humaine a toutefois, en l’espèce, rapidement battu de l’aile, faute de démonstration effective de la présence de l’hirondelle de rivage sur le site objet de l’autorisation environnementale contestée.
II. L’insuffisance des inventaires à démontrer la présence effective de l’hirondelle de rivage excluant la nécessité d’obtenir une dérogation.
Une fois le rappel effectué de l’applicabilité du régime de protection des articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement aux sites créés ou modifiés par l’activité humaine, les juges du tribunal administratif de Lyon ont statué sur la question de savoir si, en l’espèce, la présence de l’hirondelle de rivage Riparia riparia était suffisamment avérée et nécessitait alors pour la société exploitant la carrière, l’obtention d’une dérogation.
Les juges du tribunal administratif de Lyon ont analysé les nombreuses pièces fournies par les requérants et notamment une note synthétique établie par la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) sur la base d’inventaires réalisés en 2019 et indiquant (§. 4.) : « que de nombreuses colonies se sont installées dans les exploitations de granulats alluvionnaires ».
De cette même note, les juges en ont extrait la précision suivante : « Il est difficile de prédire l’installation ou non de ces oiseaux sur les sites favorables comme les carrières » pour constater qu’en l’espèce (§. 4.) : « faute de renseignements plus précis et actualisés sur la fréquentation par l’hirondelle de rivage de la carrière, et spécialement de ses fronts de taille, la présence de cet oiseau sur des portions de la zone d’exploitation appelées à être remise en état ne saurait être tenue comme avérée » ; aucune dérogation n’étant ainsi nécessaire à obtenir dans le cadre de l’autorisation environnementale contestée.
Les juges ont également fait référence à la réserve émise par le conseil national de la protection de la nature (CNPC) mentionnant que l’hirondelle de rivage aurait également dû intégrer la demande de dérogation mais réserve qui n’a fourni aucune information sur la fréquentation du site par l’oiseau, selon les extraits mis en exergue par les magistrats dans leur jugement.
Les juges du tribunal administratif de Lyon ont donc estimé que les éléments du dossier étaient insuffisants à caractériser la présence de l’hirondelle sur le site en question et spécialement sur les fronts de taille de la carrière, ce qui est, en toute objectivité, une donnée extrêmement précise donc certainement difficile à récolter par ceux qui procèdent aux inventaires.
Il ressort d’un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille que lorsque les juges ont eu à se positionner sur la présence de la tortue d’Hermann au sein de la forêt et de la plaine des Maures afin d’apprécier la légalité du refus opposé par le préfet du Var à une demande de défrichement, ils se sont fondés sur des cartes annexées aux documents d’objectifs Natura 2000, ainsi que sur des inventaires réalisés, cette fois par l’ONF, dans le cadre de Natura 2000 :
« 9. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, et en particulier du procès-verbal établi à la suite de la reconnaissance des bois à défricher effectuée le 11 juin 2009 que les parcelles cadastrées section I n°29 et I n° 30, composées de landes sèches à callune avec pins maritimes, sont situées, d’une part en zone 1 du projet d’intérêt général de protection de la plaine des Maures, et dans le projet de réserve naturelle nationale de la plaine des Maures, créée par décret du 23 juin 2009, et d’autre part, s’agissant de Natura 2000, au sein d’une zone de protection spéciale “ plaine des Maures ” et dans un site d’intérêt communautaire “ massif et plaine des Maures ” ; qu’il ressort des cartes annexées aux documents d’objectifs Natura 2000 du site de la plaine des Maures et au rapport final du plan national d’actions en faveur de la tortue d’Hermann ainsi que des inventaires scientifiques réalisés par l’ONF dans le cadre de Natura 2000, que sont présentes sur lesdites parcelles, l’aira provincialis ou canche de Provence, espèce végétale protégée par arrêté ministériel du 9 mai 1994, la tortue d’Hermann, espèce en danger, et protégée par arrêté ministériel du 22 juillet 1993, et que le biotope est favorable à l’engoulevent d’Europe, oiseau protégé en application de l’article L. 414-4 du Code de l’environnement et de la directive 79-409 du 2 avril 1979 relative à la conservation des oiseaux sauvages ; qu’en particulier, les parcelles sont dans une zone d’importance majeure pour les tortues d’Hermann, celles-ci étant protégées également par les conventions de Berne et de Washington et par la directive 92/43 du 21 mai 1992, et ne se trouvant plus en France que dans le Var et en Corse, la protection de ces tortues étant une des principales raisons de la création de la réserve naturelle nationale de la plaine des Maures ;que dès lors, le préfet du Var n’a pas commis d’erreur d’appréciation en refusant d’autoriser le défrichement demandé, sur l’intégralité de la parcelle, au motif tiré de la protection d’un territoire présentant un intérêt remarquable en raison de la préservation des espèces animales et végétales précitées, et en estimant que les mesures compensatoires préconisées par le requérant, consistant notamment en un déplacement des tortues à l’extérieur de la zone forestière et à un enherbage en périphérie des parcelles, étaient insuffisantes ; qu’enfin, si le GFR requérant se prévaut d’un avis favorable du directeur départemental de l’équipement et de l’agriculture du Var en date du 19 décembre 2008 à l’octroi d’une autorisation de défrichement d’une bande de terrain lui appartenant de quatre hectares, le long d’une piste de défense des forêts contre l’incendie, les terrains concernés, même s’ils se situent à proximité des parcelles en litige, avaient déjà fait l’objet d’un défrichement en 2003 et ne présentaient donc pas les mêmes caractéristiques que ces dernières ; » (CAA de Marseille, 4 juillet 2013, n° 11MA01926).
La légitimité d’une institution comme l’ONF couplée à celle du dispositif Natura 2000 a peut-être expliqué le sens de la décision rendue dans cet arrêt de 2013 de la cour administrative d’appel de Marseille.
Cela n’a pas été le cas s’agissant ici du jugement commenté où le juge administratif, inflexible, a profité des incertitudes liées aux inventaires pour exclure assez rapidement la présence avérée de l’hirondelle de rivage sur le site en question.
À cet égard, la question complexe de la prise en compte par le juge administratif des analyses et autres données scientifiques, amène à une discussion (une remise en cause ?) de la valeur des expertises scientifiques face au droit et plus largement face à la justice.
En ce sens, et de manière quelque peu regrettable, Corine Lepage et Christian Huglo, avocats en droit de l’environnement, ont pu affirmer dans un ouvrage récent : « L’expertise scientifique n’est pas tout, et heureusement, car elle est souvent difficile à administrer de manière certaine. » (C. Lepage et C. Huglo, Nos batailles pour l’environnement, 50 procès, 50 ans de combats, Actes Sud, 2021, p. 149).
Si, en l’espèce, dans le jugement commenté, les juges du tribunal administratif de Lyon ont écarté la nécessité d’obtenir une dérogation espèces protégées pour le cas précis de l’hirondelle de rivage dans le cadre de la carrière de Sainte-Julie, ils ont toutefois tiré les conséquences de « l’absence de renseignements plus précis et actualisés ».
En effet, les juges ont précisé dans leur jugement que dans le cas d’une présence qui serait finalement avérée de l’hirondelle de rivage sur le site, ce sera cette fois-ci au préfet lui-même d’agir, conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés en ce sens par l’article L. 171-7 du code de l’environnement.
III. Un rappel opportun des pouvoirs conférés au préfet en cas de présence éventuellement avérée de l’hirondelle de rivage en fin d’exploitation du site.
Les juges administratifs n’ont donc pas tranché aussi définitivement qu’il n’y parait sur la présence non avérée des hirondelles de rivage. En effet, dans un très court considérant (§. 5.), les juges ont tenu à rappeler la possibilité de constater ultérieurement la présence de l’oiseau comme étant avérée, à l’occasion du diagnostic complémentaire qui devra être obligatoirement réalisé par l’exploitant avant chaque étape de remise en état requise par l’autorisation environnementale.
Les juges ont précisé que dans le cas d’une présence avérée de l’hirondelle de rivage, notamment en fin d’exploitation du site de Sainte-Julie par la société, non seulement il appartiendra au préfet d’ordonner des mesures permettant d’éviter toute atteinte à l’espèce si les opérations de remise en état sont incompatibles avec la présence de l’hirondelle sur le site, mais en outre, le préfet devra examiner la possibilité de délivrer une dérogation à l’interdiction de destruction de cet habitat d’espèces.
Alors même que les opérations de remise en état sont plutôt en faveur de la protection de l’environnement puisqu’il s’agit de faire disparaître toutes les traces liées à l’activité humaine (réaménagement, traitement de dépollution, résorption), paradoxalement il y a des cas où la remise en état elle-même peut être à l’origine d’une atteinte à une espèce protégée.
En l’espèce l’hirondelle de rivage se serait installée durablement sur les fronts de taille sablonneux de la carrière, empêchant alors assez ironiquement toute remise en état sans obtenir préalablement de dérogation espèces protégées au titre de l’article L. 411-2 du code de l’environnement.
Le tribunal administratif de Limoges, dans un jugement de 2007, avait annulé l’autorisation de remise en état des Carrières du Bas Berry qui risquerait de détruire l’écosystème s’étant constitué durant l’exploitation, avec la présence de plusieurs espèces protégées (TA Limoges, 20 décembre 2007, n° 0500780).
Enfin, il est important de souligner que dans le cadre de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, le préfet est en situation de compétence liée. Il est donc tenu de mettre en demeure l’exploitant de régulariser sa situation (CE, 1er juillet 1987, n° 69948, au Lebon).
Ainsi, le système de contrôle tel que prévu à l’article L. 171-7 du code de l’environnement qui permet de jalonner chaque étape de la vie d’une exploitation, offre des garanties renouvelées dans le temps pour la protection des espèces protégées, au prix cependant d’une certaine lourdeur administrative, véritable plomb dans l’aile des exploitants d’installations classées.